1- Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant d'entrer à la DGSE ?
Je suis Saint-Cyrien d’origine. J’ai commencé dans l’arme blindée cavalerie, puis j’ai rejoint pendant quatre ans les forces spéciales, au sein du 1e Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine. J’ai ensuite commandé mon escadron à Verdun, avant de rejoindre la DGSE.
2- Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre la DGSE ? Était-ce un rêve d'enfance ou une opportunité inattendue ?
Un rêve d’enfance, alimenté par les souvenirs d’un ancien camarade de promotion de mon père et mes lectures de John le Carré (la trilogie Smiley)
3- Quels sont les critères de sélection pour devenir agent clandestin à la DGSE et comment s'est déroulé votre processus de recrutement ?
Sens de l’autonomie, facilité pour nouer des contacts et évoluer dans tous types d’environnements, à l’étranger. J’ai rencontré un membre d’une petite cellule spécialisée. L’entretien s’est bien passé et j’ai ensuite passé des tests de sélection que j’ai réussis, ouvrant la voie pour moi à un processus de recrutement plus classique (pour un militaire : demande de mutation officielle pour rejoindre la DGSE)
4- Pouvez-vous décrire votre première mission sur le terrain ? Quels étaient vos sentiments à ce moment-là ?
Première mission avec une fausse identité et des faux papiers. C’est le premier passage à l’aéroport qui impressionne, face aux douaniers qui contrôlent vos documents d’identité. Comme on sourit et qu’on a une bonne tête qui inspire confiance, ça passe sans problème. Et c’est une première victoire exaltante pour le jeune espion !
5- Comment se passe une journée type dans la vie d'un espion de la DGSE ?
À l’étranger, on rejoint son bureau inséré dans l’ambassade de France. On prend connaissance des messages tombés dans la soirée et envoyés par la Centrale. Il y a notamment des questions que se posent les analystes à Paris, auxquelles il faut apporter des réponses au travers des connaissances de nos sources humaines. On prépare les entretiens à venir (sécurité et contenu) avec les sources humaines dont on a la charge : en général, un entretien par jour, parfois deux. Itinéraire de sécurité pour s’assurer que nous ne sommes pas suivis par les services locaux. Entretien dans un local clandestin. Puis retour à l’ambassade pour écrire tous les messages qui se rapportent à l’entretien qui vient de se dérouler.
6- Quelles compétences spécifiques sont nécessaires pour réussir dans ce métier ?
Intelligence de situation, capacité d’analyse et empathie.
7- Quel a été l'aspect le plus difficile ou le plus dangereux de votre carrière ? Pouvez-vous nous en parler ?
La période la plus chaude, pour moi, ont été mes deux dernières années de mon premier poste à l’étranger, en Asie Centrale. L’activité clandestine du poste dont j’avais la charge a été détectée par les services locaux. On cherchait à développer des accès dans des zones très sensibles et interdites. On a fait fort, mais trop vite… On a pris cher (mon adjoint a été arrêté et expulsé, entre autres).
8- Y a-t-il une mission ou une opération dont vous êtes particulièrement fier ?
Toutes. À chaque fois, je repartais de zéro, sur des nouveaux dossiers. Je me fixais des objectifs ambitieux que je suis toujours parvenus à atteindre. Même dans le cas évoqué plus haut : j’ai fait mouche, avant de me faire prendre !
9- Comment votre travail a-t-il affecté votre vie personnelle et familiale ?
On gère. Mais on s’aperçoit, lorsque l’on finit par quitter le service, que l’on a tiré un trait sur tout un pan de notre vie sociale, pendant ces années d’activité à la DGSE. C’est quand même un sacerdoce !
10- Est-ce difficile de garder le secret sur ce que vous faites, même avec vos proches ?
Cela n’a pas été difficile pour moi. J’avais une épouse discrète et je lui disais quand même pas mal de choses. C’est important de partager ses difficultés du moment avec un tiers de confiance. Pour le reste, nos aventures sont connues en interne et cela suffisait à mon bonheur.
11- Comment gérez-vous les dilemmes moraux ou éthiques liés aux missions que vous avez effectuées ?
Je m’étais toujours dit que j’étais prêt à démissionner si l’on me commandait d’agir contre mes convictions morales. Cela n’est jamais arrivé.
12- Comment la technologie a-t-elle changé le métier d'espion depuis vos débuts ?
Elle a surtout facilité le travail : la qualité du renseignement technique obtenu a été en hausse constante et cela continue aujourd’hui.
13- Quels sont, selon vous, les plus grands défis actuels pour le renseignement extérieur ?
Ne pas se reposer derrière la force du renseignement technique et toujours mettre la même énergie pour recruter des sources humaines top niveau.
14- À quel point la collaboration internationale est-elle importante dans le monde du renseignement ?
Elle est essentielle et elle pousse à l’excellence. Le renseignement est comme un marché. les marchandises échangées sur ce marché, ce sont les renseignements obtenus en propre. Si c’est du renseignement de qualité, je peux l’échanger avec un autre, pour obtenir un autre renseignement de qualité. Les Américains, par exemple, décident de travailler avec la DGSE, qu’à la condition que le renseignement échangé réponde à leur niveau d’exigence. Si vous n’êtes pas assez bons, personne ne viendra à vous !
15- Avec le recul, referiez-vous les mêmes choix de carrière ? Pourquoi ?
Tous. Je ne change rien ! J’ai adoré ma carrière. Même, si certains moments ont été plus difficiles à vivre.
16- Quelles sont les idées reçues les plus courantes sur les espions et que souhaiteriez-vous corriger ?
Les espions sont des barbouzes incompétentes. Non ! Ce sont des fonctionnaires sérieux, contrôlés par l’administration, et qui ont le sens de l’Etat chevillé au corps.
17- Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite poursuivre une carrière dans le renseignement ?
Lisez mon premier livre, Profession Espion ! Si vous voulez toujours rejoindre le service après l’avoir lu, vous rentrerez à la DGSE pour les bonnes raisons...
18- Y a-t-il des aspects de votre travail que vous ne pouvez toujours pas divulguer, même aujourd'hui ?
Bien sûr. Les techniques opérationnelles, les capacités techniques, l’identité des sources : c’est du secret à vie.
19- Comment la DGSE gère-t-elle la question du secret une fois qu'un espion prend sa retraite ?
Pas forcément très bien ! C’est difficile de suivre tout le monde. Mais elle fait au mieux...
20- Quel message souhaiteriez-vous transmettre au grand public concernant le travail des agents de renseignement ?
Le travail quotidien n’est pas aussi sexy qu’une série télévisée. Mais la réalité du métier est pour moi plus passionnante à vivre que celle de James Bond. Ma chaîne YouTube, mes livres, cherchent à transmettre cette passion du renseignement, simplement, loin d’une vision fantasmée des services secrets.
21- Il y a quelques années, vous avez lancé une chaîne YouTube intitulée «Talks With a Spy». Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet et nous expliquer quelles ont été vos motivations derrière cette initiative ?
J’ai toujours aimé le montage vidéo et j’avais une bonne imagination pour raconter des histoires. Ma chaîne m’a permis de continuer à parler d’un domaine qui me passionne, tout en utilisant mes compétences en vidéo.
22- Vous avez écrit plusieurs livres. Pourriez-vous nous en parler davantage ?
Trois livres très différents, et un quatrième à paraître le 23 octobre : mon premier roman (d’espionnage, bien sûr !) :
- Profession espion (Hoëbeke) : livre témoignage sur mes premières années à la DGSE.
- J’étais un autre et vous ne le saviez pas (Editions de l’Observatoire) : un essai sur la clandestinité et les espions sous légende. Comment vivre en double et monter sa légende. Je m’appuie sur ma propre expérience et sur le parcours de cinq espions sous légende de l’histoire.
- Missions Espions (Marabout) : 10 missions d’espionnage que j’ai imaginées et qui se lisent comme un jeu avec énigmes et solutions.
- Le Walk-in (Flammarion) : un officier traitant de la DGSE en poste à Beyrouth est confronté à un volontaire des services secrets syriens. Escroc ou source du siècle ?
23- Pourquoi le pseudo de Beryl 614 ?
Un instructeur terrain de mes débuts que j’aimais bien, appelait les sources lors de nos exercices sur ce même schéma : un mot + un chiffre. Du coup, c’est un hommage à sa mémoire. « Béryl », parce que le béryl bleu est ma pierre semi-précieuse préférée. Et « 614 » , parce que ça sonnait bien !
24- Quels sont vos futurs projets ?
Rejoindre le cinéma ou la télévision au travers de l’écriture d’un premier scénario et la réalisation de documentaires d’espionnage.
25- Quelle est votre devise dans la vie ?
Faire les choses avec plaisir et passion, c’est la clé de la réussite et de l’épanouissement personnel.
26- Pour finir cette interview, je vous propose de répondre aux questions « existentielles » :
- CIA ou FSB ?
CIA
- James Bond ou OSS 117 ?
James Bond (le renseignement est une chose sérieuse pour moi !)
- Parapluie Bulgare ou Walther PPK (avec modérateur de sons) ?
Parapluie Bulgare (la guerre froide fut un âge d’or de l’espionnage)
- Mata Hari ou Anna Chapman ?
Anna Chapman (pour son physique avantageux…)
- The Americans ou le bureau des légendes ?
Le BDL
- Pigeon voyageur ou Signal ?
Pigeon voyageur (le lowtech est la solution pour contrer le développement des capacités techniques de l’adversaire).
- Caméra ou micro ?
Micro (la parole est d’or)
- Cercottes ou Perpignan ?
Cercottes (je suis plus sensible à la clandestinité la plus poussée que dans les capacités FS)
- La boîte ou la piscine ?
La boîte !
- Et pour conclure:
Vodka Martini ou Jus de tomate ? Jus de tomate...
Merci à Olivier pour cette interview !
Retrouvez le sur:
https://www.youtube.com/@TalkswithaSpy
https://www.instagram.com/talkswithaspy/