« Traditions et savoir-faire d’un coutelier forgeron Hmong en Guyane Française »
Lors d’un de mes voyages en Guyane française en 2019, je suis passé au village de Cacao pour effectuer une petite visite au célèbre marché local et en profiter par la même occasion pour déguster une délicieuse soupe Hmong.
Remontons quelques années en arrière…
Les Hmong sont arrivés en Guyane en 1977 comme réfugiés politiques et depuis ils ont contribué au développement de l’agriculture dans ce département français situé en Amérique du Sud.
En me baladant à pied dans le village, j’ai cru entendre au loin des coups de marteau sur une enclume…
Je me suis laissé guider par cette douce mélodie et je me suis retrouvé devant l’atelier d’un forgeron.
Il m’invite à rentrer chez lui et nous voilà partis pour discuter d’objets qui coupent et qui piquent. Il me présente son travail qui est tout simplement comme j’aime « simple et efficace » pas de fioritures et le tout fabriqué avec des matières premières locales.
Le couteau en photo dans cet article est typique des couteaux traditionnels Hmong, nous pourrions le qualifier dans la catégorie « camp knife » avec sa lame de 30 centimètres de long pour 6 millimètres d’épaisseur au plus large et le tout forgé dans une lame de ressort. La lame est montée sur soie dans un manche en bois local, ici de l’amourette.
L’étui est constitué de 2 parties symétriques en bois assemblées à l’aide de lianes.
Avec ses 830 grammes, nous sommes dans la catégorie « poids lourd », mais il répond parfaitement aux tâches pour lequel il a été fabriqué. Concevoir un carbet dans les « grands bois » de Guyane, débiter du bois pour alimenter le feu du bivouac, découper des gros quartiers de viande de gibier local fraichement chassé, etc…
Il est temps maintenant de vous présenter ce très sympathique et talentueux coutelier forgeron Hmong qui m’a accueilli une nouvelle fois chez lui en 2021 pour que je vienne récupérer mon précieux que vous pouvez admirer en photos dans cet article.
Lors de la réalisation de ce couteau, Jean a pris le temps de faire des photos pour illustrer certaines étapes de la fabrication. Merci à lui car ce n’est pas toujours la chose la plus sympa à faire pendant que l’on fabrique un couteau.
1/ Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis Heu Vang Jean (Vam) , Hmong originaire du Laos. Je suis arrivé en 1977 en Guyane avec ma famille à l’âge de 2 ans. Nous habitons à Cacao. Je suis agriculteur et je forge par passion.
2/ A partir de quel âge as-tu eu cette passion pour les couteaux et à partir de quand as-tu commencé à fabriquer tes propres lames ?
J’ai toujours vu mon père forger. Enfant, je devais l’aider, le soufflé manuel m’était dédié ! La forge, c’était quelque chose de désagréable et je ne m’y intéressait pas. En 2001, la Chambre du Commerce et de l’Industrie de Guyane contacta mon père pour lui proposer de présenter la coutellerie Hmong à la Foire de Paris parmi les autres artisanats ethniques de Guyane. Mon père ne parlant pas bien le français, il me demanda de le remplacer. J’ai alors dû m’entrainer 6 mois à l’avance pour connaître les produits et les techniques de forge. C’est en pratiquant que ma passion est née.
3/ Quelle est ta vision générale pour un couteau, il doit répondre à quels critères ?
Pour moi, un couteau doit d’abord être fonctionnel et répondre à son usage : travailler aux champs, couper du bois, dépecer du gibier, construire des abris. Equilibre, tranche et robustesse avant tout !
Je suis aussi un peu maniaque sur les finitions, je porte quand même beaucoup d’importance à l’esthétique.
4/ Il existe quelques variantes de couteau Hmong que ce soit au niveau de la forme de la lame et du manche, peux-tu nous donner plus de détails ?
Il existe deux silhouettes différentes de couteaux Hmong : le couteau mâle qui a le dos droit et le couteau femelle qui a le dos bombé/cassé. A part ça, l’aspect des couteaux varie en fonction du forgeron : manche en fer, manche en bois, pointe plus ou moins courbée...
5/ Je crois également que tu fabriques une version plus petite en gardant le même design ? Pourquoi cette version ?
En effet, je fais des couteaux de plus petite taille. C’est une demande des visiteurs qui en avaient une autre utilité : ils souhaitaient un couteau plus portable, pour la cuisine ou comme souvenir.
6/ Tu forges tous tes couteaux, quel type d’acier utilises tu en général et quelles sont les autres matières premières que tu utilises pour la réalisation de tes lames et de tes étuis ?
Les lames sont forgées à partir de lames de ressort ou de guides de tronçonneuse. Le manche est taillé dans du bois brut local. L’étui, quant à lui, est fait à partir d’un bois local qui ne bouge pas (Wapa de préférence) et maintenu à l’aide d’un tressage de lianes.
7/ Je sais que tu fonctionnes beaucoup aux bouches à oreille pour tes commandes. Mais ton travail mérite vraiment d’être plus connu, alors pour 2022 tu penses nous faire une petite page Facebook ou Instagram pour nous présenter tes belles lames ?
C’est une idée intéressante. J’avoue y avoir déjà pensé. Mais j’ai déjà beaucoup de demande et je tiens à ce que cette activité reste une passion et non un travail à temps plein !
8/ Pour finir cette interview, je te propose de répondre aux questions « existentielles ».
- Forge à gaz ou forge à charbon ?
Forge à charbon
- Marteau ou enclume ?
Marteau
- Machette Brésilienne Tramontina ou couteau Hmong ?
Couteau Hmong
- Coq de combat ou lapin de garenne ?
Coq de combat
- Rhum ou bière ?
Rhum
- Guyane ou métropole ?
Guyane
- Et pour conclure : Soupe Hmong ou poulet boucané ?
Poulet boucané
Merci à Jean Heu Vang pour cette interview.
Contact email: hawj_jean@hotmail.fr
*Cet article est disponible dans le magazine Survival n°36