1- Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour à toutes et à tous,
Je m’appelle Fabien Hamon. J’ai 40 ans et je suis instructeur d’Arts Martiaux Français. Je suis historien et philosophe de formation, et éducateur sportif. Je suis aussi connu sous le nom de SuperFab sur les réseaux sociaux et j’ai une chaîne youtube consacrée aux Arts Martiaux Français depuis 2020. J’ai participé avec mes comparses à la fondation de l’Amicale des Arts Martiaux Français, dont le but est de promouvoir et de pérenniser nos disciplines bien françaises.
2- Quel est ton parcours dans les sports de combat et/ou les arts martiaux avant d’être là où tu en es aujourd’hui ?
J’ai commencé à m’intéresser aux arts martiaux et sports de combat vers l’année 1997, je pense. J’avais alors 14 ans et, en lisant une revue, je suis tombé sur un article sur le Kung-Fu Wushu. J’ai fait des pieds et des mains pour commencer la pratique dans une petite ville de Normandie. J’ai pratiqué pendant 6 ans en complétant par de la gymnastique lorsque j’étais à l’Université. J’ai pratiqué quelques temps (environ 3 ou 4 ans) et très modestement l’Art du déplacement (fondé par des membres des Yamakasi). Puis, j’ai découvert l’existence de la Méthode Lafond, qui est une méthode d’autodéfense basée sur la pratique des arts de combat français, tels que l’escrime, la Savate, la canne, le bâton, mais aussi la défense au parapluie ou aux armes naturelles qu’on appelle Panache.
3- Tu es un fervent représentant et pratiquant d’Arts Martiaux Traditionnels Français, quand, comment et avec qui as-tu découvert ces disciplines ?
Lorsque j’étais à l’Université, je me suis senti de moins en moins en accord avec la pratique des arts martiaux chinois. Je sentais que, pour aller plus loin, il aurait fallu apprendre la langue, partir en Chine. En somme, il eût fallu que j’embrasse la culture chinoise. A ce moment-là, j’ai fait la rencontre de celle qui deviendra mon épouse. C’est elle qui m’a fait comprendre que, dans cette pratique, je me déguisais et que cela confinait au ridicule. Difficile à avaler sur le coup et il m’a fallu quelques temps pour accepter qu’elle avait clairement raison. Quelques mois plus tard, une chute en Gymnastique a provoqué le déclic et j’ai décidé d’arrêter là.
A ce moment-là, une connaissance m’a convaincu de m’essayer à l’Art du déplacement. J’ai alors eu la chance d’être initié à l’Art du déplacement avec un ancien militaire des Forces spéciales. Et c’était sans savoir que l’Art du déplacement est enraciné dans les Arts Martiaux Français puisqu’il vient de la Méthode naturelle aussi connu sous le nom d’Hébertisme, méthode d’éducation physique et d’aguerrissement fondée par l’Officier de Marine Georges Hébert.
Ne me rendant absolument pas compte de ce que j’avais la chance de pratiquer, j’ai poursuivi mes recherches car j’étais persuadé qu’il devait bien exister une tradition martiale française. J’ai découvert la Méthode Lafond par le site internet officiel mais fort discret. Là, ce fut une révélation. Je découvrais qu’il s’agissait d’une méthode complète fondée par un maitre d’armes français formé à l’Ecole Supérieure d’Education Physique de Joinville-le-Pont. Culture physique, escrime traditionnelle, savate canne, bâton, tous les arts de combat français réunis sous une seule bannière. Le rêve.
J’ai décidé de me rendre dans l’association de Maître Roger Lafond, le fondateur, association se trouvant au Perreux-sur-Marne dans le Val-de-Marne (alors que j’habitais à Rouen). Ce devait être en 2007. Chaque jeudi, je passais la journée au domicile de Monsieur Lafond. J’ai étudié ses archives personnelles et suivi ses leçons en face-à-face en parallèle des entrainements dans son association le soir venu. En 2011, l’association a publié mon livre « Se défendre avec Panache ! Vie et méthode de Maître Lafond » que j’ai écrit grâce à l’enseignement de Monsieur Lafond et les centaines de documents et photographies qu’il conservait chez lui. J’ai dû rester dans l’association environ 12 ans au total sous la houlette des professeurs formés par Monsieur Lafond, tels que Didier Coulon et Stéphane Volante par exemple.
4- Quelles sont les choses qui te passionnent dans les Arts Martiaux Traditionnels Français ?
Tout. C’est français. On est donc conceptuellement, culturellement, linguistiquement connecté à ce système de combat. Nos ancêtres ont pratiqué les Arts Martiaux Français. Mon grand-père était fusilier marin, quartier-maitre sur le torpilleur le « Siroco » pendant la Bataille de Dunkerque en 1940. En tant que fusilier marin, il a donc pratiqué les AMF et plus précisément la Méthode naturelle que j’évoquais plus haut. Quel honneur de pratiquer ce que les anciens pratiquaient !
Ce que je trouve particulièrement fascinant, c’est que toutes les disciplines sont reliées par des principes, qui sont ceux de l’escrime. Escrime qui a plusieurs siècles d’existence. On ne peut pas imaginer le degré de maitrise des maitres et professeurs. Et ces principes sont aujourd'hui encore d'actualité, pour qui prend la peine de s’y intéresser. Les maîtres et professeurs n’ont eu de cesse d’adapter les principes à leur époque en fonction des choix d’armement, des lois, etc…
Et les AMF, c’est aussi un esprit. Comme l’écrivait Edmond Rostand, « le panache, c’est l’esprit de la bravoure » ou encore « Plaisanter en face du danger, c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. »
Comment ne pas vibrer à la lecture de ces lignes ? Comment ne pas entendre les tambours sonner, comme le dirait mon ami le Capitaine France ?
5- Peux-tu nous décrire les disciplines que tu pratiques et qui composent les Arts Martiaux Traditionnels Français ?
Cette question est délicate car, par nature, les Arts Martiaux Français ont évolué dans le temps en fonction des choix technologiques, de l’évolution des tenues, des lois, des moeurs. Je vais, donc, me référer à une manière de présenter les choses que j’aime particulièrement. Au XIXe siècle, on disait parfois qu’il y avait trois formes d’escrime : l’escrime aux armes blanches, l’escrime de la canne et du bâton et enfin l’escrime aux armes naturelles.
-L’escrime aux armes blanches comprend l’escrime de pointe (l’épée) et l’escrime de contrepointe (le sabre). C’est la base de tout.
-L’escrime de la canne et du bâton est celle du bois, qui est intimement liée à la précédente. On n’a pas toujours une arme, mais c’était une époque où le port de la canne était très courant. C’était parfois même un outil professionnel, un fidèle compagnon.
-L’escrime aux armes naturelles est celle que l’on met en oeuvre lorsqu’on n’a pas d’armes ni d’objets à sa disposition. Ce sont la Savate, la Boxe Française, la Lutte parisienne et la Lutte française. Mais l’expression « armes naturelles » est trompeuse car, dans notre Savate, c’est la chaussure qui devient l’arme.
Mais toutes ces disciplines font partie d’un ensemble plus grand : une culture physique générale regroupant de très nombreux exercices. C’est ce qu’on appelle la Gymnastique militaire. Le but était de former le soldat, de le préparer aux franchissements d’obstacles et au combat. La Méthode naturelle est une des méthodes qui a développé dans l’armée française. Cela consiste en 10 types de mouvements naturels : la marche, la course, le grimper, le saut, la quadrupédie, l’équilibre, lever/porter, le lancer, la défense et la natation.
La méthode qu’employait Maître Lafond était une méthode adaptée à notre époque. Une séance courte pour les citadins qui travaillent dans les bureaux en employant les techniques adaptées à la société civile moderne, dans un esprit de culture physique.
J’en emploie toutes les ressources en apportant le résultat de mes propres recherches. Je vais chercher les traités et manuels anciens afin de mieux comprendre ce que j’ai appris, ce qui m’a notamment amené à exhumer certains procédés, comme la méthode sur 4 faces qui est à la fois une méthode de défense contre plusieurs adversaires et une méthode de gymnastique.
6- Quel est ton avis personnel sur les arts martiaux japonais et leur omniprésence en France par rapport aux Arts Martiaux Traditionnels Français qui sont malheureusement très mal connus sur notre territoire ?
A titre personnel, je n’ai jamais eu d’attirance pour les arts martiaux japonais et je ne les ai jamais pratiqués. Chacun est évidemment libre de pratiquer ce qu’il veut bien, mais je trouve dommage de partir « ailleurs » parce qu’on croit qu’il n’y a pas de tradition française. Je pense qu’avant d’aller voir ailleurs, il faut déjà savoir d’où on vient. Je le dis en toute connaissance de cause, car j’ai fait partie de ces personnes.
Par ailleurs, je considère que l’esprit du combat à la française est intimement lié à la culture française. Ce que je veux dire, c’est qu’entendre parler de disciplines venues d’ailleurs à longueur de journée n’est pas anodin. On a besoin d’entendre parler de ce qu’est la France sous tous ses aspects. Comment susciter l’amour du pays si on n’en entend jamais parler ? Comment susciter l’unité d’un peuple si on ne lui parle jamais d’où il vient ?
Nous ne sommes pas montés en série. Ce qui est fait par et pour les Japonais ne nous correspond pas forcément.
Combien de fois ai-je entendu que les arts martiaux sont asiatiques et qu’il n’y aurait rien en France ? Je ne les compte plus. Il y a là-dedans une forme de pessimisme, une forme d’abandon que je déplore. Nous avons absolument tout. Il suffit de faire corps avec notre culture, de la vivre.
7- Où dispenses-tu tes cours d’Arts Martiaux Traditionnels Français et quel est ton public en général ?
J’enseigne en Ile-de-France, dans les Hauts-de-Seine (92), entre Sèvres, Meudon et Boulogne-Billancourt. J’anime plus spécifiquement un stage mensuel de 3 heures dans la forêt de Meudon. Mes élèves ont en général entre 30 et 60 ans et viennent de tous horizons. Commerciaux, employés de banque, forces de l’ordre, militaires, etc… Parmi eux, certains sont de grands débutants et d’autres sont très aguerris en sports de combat et arts martiaux.
8- Quelle est ta routine personnelle d'entraînement sur 1 semaine ?
C’est très variable d’une semaine sur l’autre en raison de mon emploi du temps professionnel. Tout mon entraînement s’adapte à ma vie professionnelle. Un bon entrainement doit nous aider à vivre. Je ne cherche pas la destruction.
Je donne entre 1 et 3 leçons par semaine, sachant que je pratique l’intégralité de la leçon avec mes élèves. Mes leçons comprennent a minima de la culture physique, de la Savate, de la canne, du parapluie et du Panache. J’ai donc entre 1 et 3 entrainements de ce programme déjà riche.
En plus de cela, je pratique 9 des 10 familles d’exercices de la Méthode naturelle 1 à 2 fois par semaine, en forêt. Tous les ateliers sauf la natation, en résumé.
Enfin, je pratique l’objet de mes recherches dans un mode « expérimentation » au quotidien. Par exemple, ces derniers mois, j’ai beaucoup travaillé ce que j’appelle le « casse-tête français ». C’est un pied de frêne que j’utilise comme une masse sur 2 faces (la méthode du corridor) ou sur 4 faces (la méthode de la salle).
9- Penses-tu qu’il serait envisageable de pratiquer les Arts Martiaux Traditionnels Français à l’école comme le font les Etats-Unis avec la lutte ?
C’est tout à fait envisageable, notamment par l’intermédiaire de la Méthode naturelle, car cette méthode est particulièrement adaptée pour les enfants et les adolescents. Il est temps qu'on se rende compte que les arts martiaux français sont un formidable outil d’éducation. Education à la santé d’abord : on le sait, bouger chaque jour est indispensable pour rester en bonne santé. Education aux valeurs de respect : les Arts Martiaux Français nous amène à cultiver un comportement vertueux. Courtoisie, sang-froid sont les maitres-mots. Les AMF nous en apprennent aussi beaucoup sur l’histoire de notre pays et de notre peuple. C’est un aspect plus intellectuel. Clairement, les AMF sont des disciplines complètes pour l’éducation en dehors de tout esprit de compétition. D’ailleurs, nous sommes éducateurs sportifs. L’éducation physique est profondément enracinée dans notre culture. On a récemment entendu de la part de sportifs de haut niveau que la France ne serait pas un pays de sport. En effet, la France est un pays d’éducation physique.
10- Quel est ton « outil » de défense préféré (en milieu urbain ) et pourquoi ?
Le parapluie évidemment !
Tout dépend du contexte. En vérité, mon outil préféré est celui qui est disponible. C’est là tout l’enseignement des AMF. Dans un contexte où c’est autorisé, peut-être serais-je porteur d’une arme. Mais, je vais parler du contexte qui m’occupe personnellement. Je vis en France et le port de l’arme est réglementé. Mon outil favori dans ce contexte sera donc un objet de tous les jours. Le premier outil sera donc potentiellement la canne ou mieux encore un outil utile, le parapluie. Correctement utilisé, le parapluie devient extrêmement efficace. Monsieur Lafond a profondément théorisé le maniement et l’usage du parapluie. A défaut de parapluie, mon outil préféré restera la chaussure. Dans notre culture, nous marchons pieds chaussés. Cela n’est pas anodin. Là aussi, cela fait longtemps que nous avons des disciplines adaptées : la Savate et la Boxe française, dont l’enseignement est rationalisé et tout à fait adapté à la défense.
En résumé, mon outil de défense préféré est celui qui est disponible et légal.
11- Il y a quelques années tu as écrit un livre: Se défendre avec « Panache » ! Vie et méthode avec Maître Lafond. Tu réfléchis à une version 2 ?
En 2011, mon livre a été publié en effet. J’ai décidé d’en arrêter la publication car je considère qu’il correspond à une époque et qu’il nécessiterait des précisions, des extensions. J’ai fait énormément de recherches depuis lors. Je réfléchis à un autre ouvrage. Peut-être une version augmentée ou peut-être un autre ouvrage tout simplement sur ma propre méthode.
12- Quelles sont les personnes qui t’ont influencés ou inspirés dans les sports de combat ou arts martiaux (à part Maître Roger Lafond) ?
Les Arts Martiaux Français sont remplis de véritables légendes. Des héros, des maitres d’armes remarquables, des champions. Leurs parcours de vie sont incroyables. Certains sont issus de famille entière de maitres d’armes. Il faut souligner qu’ils nous ont laissé de très nombreux traités, manuels ou témoignages. Nous avons beaucoup de chance, notre tradition est aussi une tradition de l’écrit.
Parmi mes préférés, je pourrais citer Maitre Louis Mérignac, surnommé le tireur noir, ou encore Maitre Eugène Chauderlot, tous deux maitres d’armes militaires au XIXe, ou encore le célèbre Louis Vigneron que l’on surnommait L’Homme-canon. Des hommes fascinants.
Je me laisse aussi volontiers inspirer par les champions de BF des années 80 et 90. Parmi ceux qui m’ont le plus marqués, Sébastien Farina et François Pennacchio. Ces gars ont démontré que les vrais tireurs de BF sont capables de dominer dans n’importe quelle autre discipline.
Nous avons aussi autour de nous des personnalités très inspirantes. Je rends en particulier hommage à mes comparses de l’Amicale des Arts Martiaux Français. Ce sont des passionnés, dont je salue la volonté.
(Mr Louis Mérignac donnant une leçon d'escrime à Lucien Gaudin - Agence Meurisse 1920 Paris)
J’aime beaucoup la musique. Mes parents m’ont élevé dans les arts depuis tout petit. D’ailleurs, j’ai épousé une artiste lyrique, ce n’est pas pour rien. ;-)
La spiritualité tient aussi une place très importante. La spiritualité chrétienne pour être plus précis.
14- Tu as des livres à conseiller sur la pratique des Arts Martiaux Traditionnels Français ?
Je commence toujours par conseiller la lecture de « L’art de la boxe française et de la canne » de Joseph Charlemont. C’est probablement le traité le plus détaillé, le mieux structuré.
Pour l’escrime, je conseillerais « Les vrays principes de l’espée seule » de Philibert de la Touche. Un ouvrage de 1670 qui contient tout ce qu’il faut savoir sur l’escrime aux armes blanches.
La lutte française n’est pas en reste. Je conseille « La leçon de lutte » de François le Bordelais, deux tomes qui contiennent les coups autorisés et interdits dans la lutte à mains plates.
15- Peux-tu nous parler de tes futurs projets ?
Mes projets sont principalement de développer mes cours et stages notamment en promouvant l’Amicale des Arts Martiaux Français, notre association. Dans quelques mois, je me rendrais très certainement en Suisse pour animer un stage à la demande d’un de nos membres actifs.
16- Quelle est ta devise dans la vie ?
« Nous sommes la culture. »
C’est ce que je répète dans mes vidéos. Depuis trop longtemps, on nous a dit que la culture était pour l’élite, pour les premiers de la classe, que la culture était dans les bibliothèques et dans les musées. Si on n’y prend pas garde, la France va finir « muséifiée », mise sous cloche tel un vieux souvenir. Un souvenir un peu charmant certes, mais très désuet. La culture, ça se vit, ça s’incarne. Déguster de délicieux ris de veau, boire un café sur le zinc, lire les hauts faits d’armes de nos ancêtres, pratiquer les Arts Martiaux Français n’ont rien de désuet. C’est ici et maintenant. Nous n’avons pas de temps à perdre.
17- Pour finir cette interview, je te propose de répondre aux questions « existentielles ».
- Canne ou parapluie ? Parapluie. On peut au moins s’abriter.
- Karaté ou Savate ? Savate. J’ai horreur de marcher pieds nus.
- Fleuret ou katana ? Fleuret. Feinte dessous-dessus.
- Tongs ou chaussons ? Chaussons… aux pommes.
- Maître d’armes ou coach sportif ? Maitre d’armes. Coach, je ne sais pas ce que ça veut dire.
- Pizza ou bœuf bourguignon ? mmmm un bon boeuf bourguignon, c’est quand même autre chose.
- 94 ou 93 ? 9-3, en souvenir d’une époque où j’y ai travaillé.
- Moustache ou barbe ? Moustache pour le style, même si je porte le bouc.
- Les Brigades du Tigre ou l’agence tous risques ? En enfant des années 80, je dirais L’Agence tous risques. Personne n’est parfait.
- Et pour conclure : Panache ou bière ? Panache évidemment. Je dirais même Monaco.